Cétones exogènes : de la NASA aux biohackers

Cétones exogènes : de la NASA aux biohackers

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Les cétones exogènes fascinent autant les chercheurs que les passionnés de longévité. Nées d’un projet militaire ambitieux, elles sont passées des laboratoires de la NASA et du DARPA aux bouteilles de sportifs et biohackers. Mais que nous disent vraiment la science et l’expérience sur leur rôle dans la performance et la longévité ?

De la cétose naturelle aux cétones exogènes

Depuis plus d’un siècle, la cétose est étudiée comme un mécanisme de survie. Le régime cétogène a été utilisé dès les années 1920 pour traiter l’épilepsie résistante aux médicaments [1]. Lors du jeûne, le foie produit naturellement des cétones — β-hydroxybutyrate (BHB), acétoacétate, acétone — qui servent de carburant alternatif au glucose. Ces molécules apportent une énergie stable et semblent activer des voies de longévité comme l’autophagie et la protection mitochondriale [2].

Les cétones exogènes (sels et esters) sont nées de la volonté d’augmenter rapidement les taux de cétones sanguins, sans passer par le jeûne strict ou le régime cétogène.

Un projet militaire et spatial avant tout

Dans les années 2000, le DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) a initié le programme Metabolic Dominance. L’ambition : offrir aux soldats un carburant capable de fonctionner là où le glucose montre ses limites — en hypoxie, lors de stress prolongé ou de jeûne forcé [3].

C’est dans ce contexte que le Dr Richard Veech, biochimiste au NIH et ancien collaborateur du prix Nobel Hans Krebs, a mis au point les premiers esters de cétone. Contrairement aux sels, ces esters permettaient d’élever la cétonémie de manière stable et prévisible, sans surcharge en électrolytes.

Ses travaux ont rapidement montré qu’il était possible de maintenir des niveaux de cétones sanguines élevés pendant plusieurs heures, améliorant l’endurance cellulaire et réduisant la production de radicaux libres [4]. Cette découverte a retenu l’attention de la NASA, intéressée par un carburant métabolique pour les astronautes soumis à des périodes de privation énergétique et à l’apesanteur [5].

De là, les cétones sont passées du statut de “molécule de survie” à celui de candidat énergétique universel, capable de soutenir le cerveau et les muscles dans les environnements les plus hostiles.

L’arrivée sur le marché

Ces recherches ont ouvert la voie à deux grands acteurs :

  • H.V.M.N. / Ketone-IQ : pionniers dans la commercialisation d’esters de cétone issus des travaux DARPA/NIH, en collaboration avec l’Université d’Oxford [6].
  • Pruvit : entreprise qui a popularisé les sels de cétones à travers un réseau de distribution grand public.

Leur arrivée a marqué le passage des cétones exogènes du champ de bataille aux biohackers.

Les bienfaits supportés par la recherche et les études cliniques

Les études scientifiques explorent plusieurs bénéfices potentiels :

  • Énergie cérébrale – Le cerveau fonctionne naturellement au glucose. Mais lorsqu’un apport exogène de β-hydroxybutyrate (BHB) élève les cétones sanguines au-delà d’un certain seuil, elles deviennent un carburant privilégié. Le BHB peut alors couvrir jusqu’à 70 % des besoins énergétiques cérébraux, avec une combustion plus efficace et moins de radicaux libres [7][8].
  • Performance sportive – Chez des cyclistes supplémentés en esters de cétone exogènes, des gains d’endurance et une meilleure récupération ont été observés [9].
  • Appétit et métabolisme – Les cétones exogènes modulent les hormones de la satiété, notamment la ghréline, ce qui contribue à réduire la faim [10].
  • Neuroprotection – Des essais explorent l’usage des cétones exogènes pour soutenir la fonction cérébrale et ralentir la progression de maladies neurodégénératives comme Alzheimer ou Parkinson [11].
  • Inflammation – Le BHB issu d’une supplémentation exogène agit comme signal anti-inflammatoire en inhibant l’inflammasome NLRP3 [12].

Les limites

  • Effet transitoire

L’élévation du taux de cétones sanguines induite par les suppléments ne dure que 2 à 4 heures selon la dose et la forme (sels vs esters). Contrairement au jeûne ou au régime cétogène, l’organisme ne développe pas une adaptation métabolique durable : une fois les cétones exogènes métabolisées, le corps revient rapidement à son mode glucidique si l’alimentation reste riche en sucres.

  • Pas de lipolyse

Contrairement à la cétose endogène (où le foie fabrique les cétones en brûlant les graisses), la supplémentation n’entraîne aucune dégradation des réserves adipeuses. Autrement dit, tu peux avoir un taux de BHB sanguin élevé sans que ton corps mobilise tes graisses. Les cétones exogènes apportent un carburant externe, mais ne déclenchent pas la perte de gras.

  • Tolérance digestive

Les sels de BHB, en particulier à forte dose, peuvent provoquer ballonnements, diarrhées, nausées ou inconfort gastrique. Ce phénomène est lié à la charge osmotique des sels minéraux (sodium, calcium, magnésium, potassium) qui les accompagnent. Les esters de cétone sont mieux tolérés mais leur goût amer et leur coût élevé limitent l’adhésion.

  • Coût élevé

Les cétones exogènes, surtout sous forme d’esters purs, figurent parmi les suppléments les plus chers du marché. Les prix peuvent aller de 5 à 12 $ par portion pour un ester (ex. Ketone-IQ), contre 2–4 $ pour les sels (ex. Pruvit, Perfect Keto). Leur utilisation quotidienne devient donc difficile à soutenir financièrement, d’autant plus que les bénéfices sont temporaires.

En résumé, les cétones exogènes sont un outil ponctuel et intéressant pour optimiser certaines performances ou faciliter une transition métabolique. Mais elles ne remplacent ni la flexibilité métabolique acquise par l’alimentation et le jeûne, ni les adaptations profondes qui favorisent la longévité.

Quand les utiliser intelligemment ?

Dans une approche Vāhana, les cétones exogènes ne sont pas une solution magique, mais un outil ponctuel :

  • faciliter la transition vers la cétose (réduire le “keto flu”),
  • soutenir la clarté mentale lors de périodes de haute performance,
  • améliorer la performance d’endurance,
  • prolonger les bénéfices d’un jeûne métabolique.

Verdict longévité

Les cétones exogènes représentent une innovation fascinante, issue des besoins militaires et spatiaux. Mais elles ne remplacent ni le jeûne, ni la flexibilité métabolique. Leur rôle est d’être un levier complémentaire — utile, mais jamais central.

La vraie longévité réside dans la capacité du corps à naviguer naturellement entre glucose et cétones. Les suppléments exogènes peuvent aider… mais l’entraînement cellulaire reste le véritable secret.

Références

  • Wilder RM. The effects of ketonemia on the course of epilepsy. Mayo Clin Proc. 1921.
  • Newman JC, Verdin E. β-hydroxybutyrate: A signaling metabolite. Annu Rev Nutr. 2017;37:51–76. [PubMed PMID: 28715993]
  • Clarke K. Metabolic dominance project. DARPA report, 2003.
  • Veech RL, et al. Ketone esters as a therapeutic and nutritional supplement. Annu Rev Nutr. 2014;34:253–281. [PubMed PMID: 25087259]
  • NASA Tech Briefs. Ketone esters for space applications. 2010.
  • Cox PJ, et al. Nutritional ketone ester alters fuel preference and endurance performance in athletes. Cell Metab. 2016;24(2):256–268. [PubMed PMID: 27475046]
  • Owen OE, et al. Brain metabolism during fasting. J Clin Invest. 1967;46(10):1589–1595. [PubMed PMID: 6061736]
  • Veech RL. The therapeutic implications of ketone bodies. Prostaglandins Leukot Essent Fatty Acids. 2004;70(3):309–319. [PubMed PMID: 14769489]
  • Evans M, et al. Exogenous ketone supplements and endurance exercise. Front Physiol. 2017;8:848. [PubMed PMID: 29163018]
  • Stubbs BJ, et al. Appetite suppression and exogenous ketones. Obesity. 2018;26(2):269–273. [PubMed PMID: 29235169]
  • Kashiwaya Y, et al. Ketone bodies and neuroprotection. J Lipid Res. 2013;54(8):1980–1998. [PubMed PMID: 23649663]
  • Youm YH, et al. The ketone metabolite β-hydroxybutyrate blocks NLRP3 inflammasome–mediated inflammatory disease. Nat Med. 2015;21(3):263–269. [PubMed PMID: 25686106]
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